cas clinique:une histoire de sucre bien salée
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cas clinique:une histoire de sucre bien salée
1. Observation
Un homme âgé de 68 ans était admis dans le service des urgences pour uncoma hypoglycémique. La glycémie capillaire initiale réalisée par leSamu était à 1,5 mmol/L, confirmée aux urgences à 0,5 mmol/L, malgréune perfusion de sérum glucosé hypertonique à 30 % (G30 %) qui l’avaitaméliorée à domicile. Il s’agissait d’un patient d’origine algérienne,marié, père de quatre enfants, ancien ouvrier pour réfrigérateurs de1962 à 1979 en France et qui vivait actuellement en Algérie. Il neconsommait pas d’alcool et était sevré depuis trois ans d’un tabagismeestimé à 25 paquets-année. Ses antécédents étaient marqués par uncarcinome urothélial de vessie non infiltrant avec lésions de bas et dehaut grades, traité par ablation itérative de polypes en 2007 enAlgérie puis récemment en France, où il souhaitait poursuivre letraitement. Une cirrhose biliaire primitive (CBP) avait étédiagnostiquée un mois auparavant, lors d’un bilan d’épigastralgie. Ilexistait des varices œsophagiennes et les anticorps anti-mitochondriesétaient au 1/640. Il était traité par des inhibiteurs de la pompe àprotons (IPP). Depuis plusieurs jours, il présentait des malaises àdomicile, à distance des repas et qui s’amélioraient par la prisealimentaire. Le jour du coma, le patient était retrouvé inanimé par safamille en début d’après-midi. Le Samu le découvrait dans le coma avecun Glasgow à 8, agité, en sueurs, sans signe de localisation,hypertendu. Il s’améliorait sous perfusion de G30 %. Il était admisdans le service de médecine interne pour le bilan d’une hypoglycémiegrave chez un patient non diabétique connu.
À l’examen clinique, le patient était de poids normal, hypertendu à180/84 mmHg et présentait une toux chronique accompagnée d’une dyspnéed’effort et une dysurie. L’examen cardiorespiratoire et neurologiqueétait normal. Les examens biologiques révélaient : hémogramme, CRP,créatininémie, transaminases, bilirubine, TP, TCA, et facteur Vnormaux, kaliémie initiale à 2,3 mmol/L. L’alcoolémie et laparacétamolémie initiale étaient négatives, l’HbA1c à 5,3 %, leLDL-cholestérol était à 0,70 g/L, les triglycérides étaient normaux,l’IGF1 basse à 52 ng/ml, l’IGF2 normale, la cortisolémie à huit heuresnormale. À l’électrophorèse des protides sériques : hypoalbuminémie à31 g/L et hypergammaglobulinémie polyclonale à 21 g/L. Il existait unecholestase avec PAL à 175 UI/L et γGT à 227 U/L. L’α-fœtoprotéine étaitnormale, les sérologies des hépatites B et C négatives, la ferritinémieet le fer sérique abaissés. Les anticorps anti-mitochondries de type M2étaient positifs au 1/320. Il s’y associait des anticorpsanti-nucléaires (AAN) au 1/1280 sans spécificité (anticorps anti-ADNnatifs, anti-histones, anti-antigènes nucléaires solubles négatifs). Lefacteur rhumatoïde (FR) était à 54 UI/ml. Il n’y avait pas d’anticorpsanti-muscles lisses, anti-microsomes ou anti-LKM1, ni d’anticorpsanti-cellules pariétales gastriques ou anti-cytoplasme despolynucléaires neutrophiles.
Le suivi des glycémies capillaires et plasmatiques confirmait plusieurshypoglycémies inférieures à 3 mmol/L, de jeûne ou postprandialestardives. Le peptide C et l’insulinémie étaient élevés respectivementjusqu’à 11,85 ng/ml (N : 1,06–3,53 ng/ml) et 200 μUI/ml (N : 3–13μUI/ml). Onze jours après son hospitalisation, le résultat d’un dosagede sulfamide plasmatique demandé aux urgences revenait positif.D’autres dosages renouvelés dans le service s’avéraient négatifs. Lescanner thoraco-abdominopelvien révélait une hépatopathie stéatosiqueavec des signes d’hypertension portale et une splénomégalie. Ilmontrait aussi un nodule suspect pulmonaire (dont le bilancomplémentaire confirmait un carcinome) et un épaississement vésical enrapport avec le carcinome urothélial. L’IRM pancréatique et lascintigraphie à l’octréotide-indium étaient normales. Sous diazoxide(Proglycem®), le patient améliorait ses glycémies mais ce traitementdevait être arrêté en raison de deux épisodes majeurs de rétentionhydrosodée, favorisés par la cirrhose sous-jacente.
2. Avis de l’expert-consultant
L. Fardet, service de médecine interne, hôpital Saint-Antoine, Paris.
Ce cas clinique rapporte l’histoire médicale d’un patient présentantdes épisodes répétés d’hypoglycémie sévère survenant à jeun ou enpostprandial tardif. Ces épisodes d’hypoglycémie sont associésbiologiquement à un hyperinsulinisme et à une augmentation du peptide Cce qui permet d’éliminer d’emblée un certain nombre d’étiologies (ex :syndrome idiopathique postprandial, insuffisance surrénalienne…).
En fonction des éléments qui nous sont rapportés dans le texte, plusieurs pathologies peuvent être évoquées :
• un insulinome ;
• une nésidioblastose ;
• une hypoglycémie factice (par prise cachée de sulfamide hypoglycémiant par exemple) ;
• une hypoglycémie médicamenteuse ou toxique (ex : cibenzoline,disopyramide, fluoxétine, cotrimoxazole… stimulant directement lescellules bêta du pancréas) ;
• la présence d’anticorps anti-récepteur à l’insuline ;
• une tumeur extra-pancréatique (ex : fibrosarcome, hémangiopéricytome…) sécrétant une forme anormale d’IGF2.
Par ailleurs, plusieurs éléments méritent d’être soulevés chez ce patient :
• il souffre de façon concomitante d’au moins deux néoplasies (carcinome urothélial de vessie, carcinome pulmonaire) ;
• il souffre également d’une CBP avec présence d’anticorps anti-mitochondries de type M2 à taux élevé ;
• il présente des éléments en faveur de carence/malabsorption(LDL-cholestérol bas malgré l’hépatopathie chronique, carence martiale,hypoalbuminémie) ;
• enfin, la recherche de sulfamide hypoglycémiant (sanguine) estpositive à une reprise ce qui, dans ce contexte d’hypoglycémie, prendun sens tout à fait particulier.
L’adage « un malade, une maladie » semble donc ici largement nonvérifié et on peut se demander si tout cela ne fait finalement un peutrop pour le même patient…
En reprenant chacun des points précédents on peut (certes de façon unpeu arbitraire mais il faut bien trancher !) en éliminer certains :
• le dosage de sulfamide hypoglycémiant a pour inconvénient d’être peuspécifique (nombreux faux positifs) [1] and [2].Puisque l’on sait queles épisodes d’hypoglycémie sévère se sont poursuivis alors des dosagesrépétés de sulfamide hypoglycémiant étaient négatifs et que le terraindu patient semble peu propice à une prise cachée de médicaments, nousfaisons le choix de considérer que ce premier dosage était un fauxpositif (ou une positivité croisée avec un autre sulfamide, typecotrimoxazole, reçu dans le cadre de ses chirurgies vésicales) ;
• les éléments en faveur d’une carence/malabsorption sont difficilementinterprétables dans ce contexte. Les autres éléments habituels decarence/malabsorption ne sont pas présents (poids, NFS, taux detriglycérides, TP normaux…). Avec un peu de mauvaise foi, on peutéventuellement mettre sur le compte des varices œsophagiennes lacarence martiale et sur le compte de l’hépatopathie chroniquel’hypoalbuminémie.
Il est en revanche beaucoup plus difficile de trancher sur la réalitédu diagnostic de CBP. Plusieurs éléments font largement douter de cediagnostic (90 % des patients sont de sexe féminin, l’âge moyen audiagnostic est dans la très grande majorité des cas inférieur à 60 ans,l’hypertension portale ne révèle la maladie que dans moins de 10 % descas). En revanche, la spécificité de la recherche d’anticorpsanti-mitochondrie est excellente, habituellement supérieure à 5 % etmême bien souvent supérieure à 98 % [3], [4] and [5]. Il est doncdifficile de savoir si ce patient souffre réellement d’une CBP ou s’ilsouffre d’une hépatopathie chronique non étiquetée (la présenced’anticorps anti-mitochondrie pouvant alors être intégrée à une «dysimmunité » plus générale, le patient présentant par ailleurs des FANet un FR élevés…). Une PBH serait peut être utile…
Au total, et en reprenant les étiologies initialement évoquées on peut en éliminer certaines :
• un insulinome : l’IRM pancréatique, et dans une moindre mesure lascintigraphie à l’octréotide-indium, sont normales. Par ailleurs, onintègre alors mal les anomalies immunologiques et on a du mal àimaginer qu’un même patient puisse avoir deux pathologies aussi raresqu’un insulinome et une CBP (aucun lien ne pouvant être facilementétabli entre ces deux pathologies). Il faudrait bien entendu envisagerune épreuve de jeûne, une échographie par voie endoscopique, voire uncathétérisme veineux avec dosages d’insuline étagés après stimulationcalcique dans un second temps mais nous choisissons pour le momentd’éliminer cette pathologie ;
• une hypoglycémie factice : comme nous l’avons vu précédemment, leterrain n’est pas propice et le fait que les épisodes d’hypoglycémiesévère se soient poursuivis durant le séjour hospitalier avec à chaquefois des dosages de sulfamides normaux nous font éliminer ce diagnostic;
• une hypoglycémie médicamenteuse ou toxique. On peut imaginer, même sicela n’est pas rapporté dans l’énoncé, que le patient ait pu prendredes médicaments prescrits, par exemple, dans le cadre de ses carcinomesurothéliaux. Le cotrimoxazole est par exemple un pourvoyeur connud’hypoglycémie et aurait pu être prescrit à ce patient par lesurologues [6]. Nous aimerions pouvoir réinterroger le patient dans cesens. Les IPP peuvent également à très forte dose et chez l’animalinduire des hypoglycémies [7]mais nous n’avons aucune raison de penserque le patient ait pris des doses anormales d’IPP. En l’état actuel desdonnées, il est donc difficile de pouvoir retenir ce diagnosticd’hypoglycémie médicamenteuse et nous choisissons d’éliminer cettehypothèse ;
• la présence d’anticorps anti-récepteur à l’insuline. D’une part,cette pathologie se traduit plus fréquemment par une insulinorésistanceque par une hypoglycémie et, d’autre part, les taux d’insuline et depeptide C sont plus souvent bas qu’élevés. Ce diagnostic doit donc êtreà notre avis éliminé [8] ;
• une tumeur extra-pancréatique sécrétant de l’IGF2. La concentrationplasmatique d’IGF2 est alors le plus souvent dans les valeurs normales(ce qui est le cas de notre patient) mais on sait que dans la plupartdes cas les taux d’insulinémie et de peptide C sont normaux ou bas (cequi n’est pas le cas de notre patient). Par ailleurs, ce patient neprésente a priori pas de fibrosarcome, d’hémangiopéricytome, decarcinome hépatocellulaire ou de tumeur carcinoïde, tumeurs connuespour induire ces hypoglycémies par sécrétion inappropriée d’IGF2. Nouspensons donc qu’il serait erroné de retenir ce diagnostic dans lecontexte actuel.
Les deux diagnostics restant (nésidioblastose et anticorpsanti-insuline) sont en revanche plus difficiles à départager. Letableau clinique, biologique et radiologique rapporté dans ce casclinique pourrait correspondre à une hyperplasie bénigne des cellulesde Langherans pancréatiques (nésidioblastose). Néanmoins, cettepathologie est rare chez l’adulte [9]et le plus souvent rapportée aprèsdes chirurgies de type « by-pass » gastrique ce qui n’est pas le cas denotre patient. De plus, à notre connaissance, aucun lien ne peut êtreétabli entre nésidioblastose et CBP ou entre nésidioblastose etnéoplasie. Dans ce contexte, la probabilité que ce diagnostic soit lebon se réduit fortement…
Les données dont nous disposons pourraient également correspondre à laprésence d’anticorps anti-insuline. On sait que cette pathologie estrare et est le plus souvent rapportée chez des patients japonais [10].Néanmoins de nombreux cas ont été rapportés dans la population nonasiatique [11]. L’hypoglycémie est alors souvent postprandiale tardiveet en partie expliquée par un relargage de l’insuline fixée à cesanticorps au moment de la sécrétion normale d’insuline (faible affinitéde l’anticorps pour l’insuline) et/ou par une stimulation directe durécepteur à l’insuline par les anticorps [12] and [13]. Ces anticorpsinduiraient également une hyperplasie des îlots de Langerhanspancréatiques ce qui expliquerait l’augmentation des taux de peptide C[12]. Cette forme d’hypoglycémie auto-immune est souvent observée chezdes patients présentant par ailleurs une autre pathologie auto-immune(le lien avec une éventuelle CBP pourrait alors être établi) [10] and[14]. L’apparition de ces anticorps pourrait être induite par la prisede médicaments contenant un radical sulfhydryle [10]. Imipénème etcaptopril contiennent un tel radical [14] et il serait dans ce contexteintéressant de réinterroger le patient concernant les molécules qui luiont été prescrites dans le cadre du traitement de sa pathologiehépatique et/ou vésicale. Par ailleurs, une recherche de ces anticorpschez ce patient pourrait permettre de retenir ce diagnostic de façonformelle s’ils étaient positifs. Un typage HLA avec recherche d’HLADRB1 pourrait également être prescrit [10] and [14] Enfin, nous nousinterrogeons sur le rôle du cancer pulmonaire dans l’apparition decette auto-immunité clinique et biologique, des cas de pathologiesauto-immunes paranéoplasiques ayant été rapportées au cours desnéoplasies pulmonaires.
Au total,
• nous retenons le diagnostic d’hypoglycémie auto-immune induite par la présence d’anticorps anti-insuline ;
• nous aimerions savoir si le patient a reçu des médicaments contenant un groupement sulfhydryle (imipénème par exemple) ;
• la relation entre la néoplasie pulmonaire et cette auto-immunité clinicobiologique mériterait d’être explorée.
3. La démarche diagnostique des auteurs
La survenue d’hypoglycémie hyperinsulinémique avec peptide C élevé, àdistance des repas, chez un patient non diabétique, permettaitd’exclure une origine iatrogénique par injection d’insuline. L’enquêtescrupuleuse du patient et de l’entourage concernant les prisesmédicamenteuses ou d’alcool et les dosages répétés de sulfamidespendant l’hospitalisation avaient également permis d’éliminer uneintoxication aux sulfamides. Le laboratoire a été interrogé sur lapossibilité de résultats faux positifs. L’étiologie la plus probablesemblait initialement l’insulinome. Or, l’index de Turner ne concordaitpas et, même si l’écho-endoscopie est l’examen de choix, nos examenscomplémentaires ne mettaient pas en évidence de tumeur pancréatique. Enoutre, le dosage de peptide C, inconstamment élevé, entretenaitl’incertitude. Compte tenu du doute diagnostique à l’égard d’uninsulinome et de la prise en compte du terrain auto-immun et ducontexte néoplasique, nous avons poursuivi les investigations avec larecherche d’anticorps anti-insuline et anti-récepteur à insuline et ledosage de facteur de croissance d’origine tumorale comme l’IGF2 quifavorise le catabolisme du glucose (insulinémie basse dans cecontexte). La positivité sur deux dosages répétés des anticorpsanti-récepteurs à insuline nous permettait de retenir le diagnosticd’hypoglycémie d’origine auto-immune.
4. La discussion
Les hypoglycémies auto-immunes (HAI) sont une étiologie rare etfascinante d’hypoglycémie organique. Elles sont liées à la présencedans le sang d’anticorps anti-insuline ou anti-récepteur de l’insuline.La revue de la littérature de 1982 à nos jours nous fait retenir moinsde dix articles, rapportant chacun un cas isolé d’hypoglycémieauto-immune. Les enquêtes anamnestiques retrouvaient un terraindysimmunitaire la plupart du temps : purpura thrombopéniqueimmunologique et CBP [15],lupus érythémateux systémique [16].Parmi lesHAI, le syndrome d’hypoglycémie auto-immune par anticorps anti-insulineest connu : la première description en a été faite au Japon en 1970 etc’est en Asie que le syndrome est le plus fréquent, lié au typage HLADR4, DRB1, DQA1, DQB1 ou secondaire à des traitements portant unradical sulfhydryle [17]. L’étude in vitro des anticorps anti-récepteurde l’insuline montre qu’ils activent la voie de signalisation del’insuline et miment donc l’action de l’insuline [18] and [19].
Dans toutes les observations rapportées, le traitement parglucocorticoïdes à forte dose permettait une disparition rapide en 48heures des symptômes d’hypoglycémies, même si le titre des anticorpspouvait évoluer différemment. Dans notre observation, lacorticothérapie débutée après le diagnostic a permis la suppression desépisodes d’hypoglycémies au prix cependant d’une corticodépendance à 50mg par jour de prednisone.
Source :
C. Bossu Estour a, M. Guillaume b, F. Sarrot Reynauld b, P.E. Rouge a, L. Bouillet b, C. Massotb and L. Fardet c
a Service de médecine et diabétologie, clinique mutualiste des Eaux-Claires, 8, rue Dr-Calmette, 38000 Grenoble, France
b Clinique universitaire de médecine interne, 3e A, CHU de Grenoble, 38043 La Tronche cedex 09, France
c Service de médecine interne, hôpital Saint-Antoine, 75571 Paris cedex 12, France
ange22- V.I.P
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