L’énurésie et sa prise en charge
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L’énurésie et sa prise en charge
L’article décrit d’abord brièvement les principales catégories d’énurésie. Mais son objectif principal est de fournir une guideline synthétique des attitudes à avoir à l’esprit. L’article se termine par une étude de cas constituant une invitation au réalisme et à l’humilité.
Comprendre et gérer l’énurésie de l’enfant implique d’assumer une incertitude quant à la nature bio-psychosociale du problème. Toute énurésie est en effet un phénomène dans la genèse et l’entretien duquel peuvent jouer des causes organiques, intrapsychiques (cognitives et affectives) et sociales, soit de façon anarchique et dispersée, soit en «résonance» les unes avec les autres. On gagne dès lors à organiser la prise en charge en se référant à plusieurs paramètres.
Comment rendre compte du «phénomène-énurésie» ?
L’énurésie primaire exclusivement nocturne, sans autres symptômes
L’énurésie primaire nocturne est une miction involontaire chez un jeune enfant, qui n’a jamais ou pratiquement jamais été propre pendant son sommeil. Elle est quotidienne ou très proche de l’être.
Enfant jeune ?
Le moment où l’on déclare qu’il y a problème est variable selon la subjectivité des familles. Ce ne peut être qu’à partir d’un âge – cinq, six, sept ans – où le développement corporel et cognitif de l’enfant devrait lui permettre de se contrôler. Au début, il est probable qu’il s’agit d’un phénomène purement organique, du moins au sens large du terme: pas vraiment une maladie, mais une maturation plus lente que la normale de fonctions (corticales, nerveuses, liées à l’appareil urinaire lui-même) amenant le contrôle de la miction. Il existe un (petit) sous-groupe d’enfants où le facteur organique spécifique est différent: pendant la nuit, le rein ne concentre pas la production de liquide urinaire comme il le devrait. Alors, les urines nocturnes sont très abondantes et l’on peut observer que l’enfant urine deux, trois fois la nuit. Si l’on a un doute à ce sujet, mieux vaut consulter un pédiatre. Il existe un médicament spécifique, la vasopressine, qui compense l’immaturité rénale. Rassurez-vous: c’est une pathologie sans vraie gravité. Au fil du temps, s’y ajoutent des facteurs défavorables intrapsychiques de type cognitif: l’enfant ne pense pas qu’il pourrait contrôler sa miction. Il ne se donne donc pas de consignes mentales précises et stables visant cet objectif. Interviennent aussi des facteurs intrapsychiques affectifs.
Par exemple:
• il déprime;
• il ressent un sentiment d’infériorité;
• il devient secrètement anxieux à propos de son avenir (handicap définitif ou non ?);
• il connaît des bénéfices secondaires qui l’invitent à «rester bébé» (par exemple, beaucoup de nursing par une gentille maman; être au centre de l’intérêt de la famille; mettre le pouvoir des parents en échec);
• etc.
Quant aux parents et à l’entourage, à la longue, il leur est très difficile de ne pas «dysfonctionner» (fluctuations maladroites autour de la gestion de l’énurésie, regard «autre» sur cet enfant identifié comme «bébé, handicapé, décevant…»). Ces facteurs psychogènes et environnementaux interviennent donc pour une proportion variable dans l’entretien du problème. Parallèlement, l’évolution du facteur organique initial est, elle aussi, variable et somme toute assez mystérieuse, mais va dans l’immense majorité des cas dans le sens d’une maturation favorable; le vieil adage «l’énurésie disparaît à la puberté» n’est certainement pas tout à fait faux: c’est une époque où la musculature du bas-ventre se renforce significativement. Chaque année de vie, 15% des enfants jusqu’alors énurétiques primaires cessent de l’être.
L’énurésie secondaire exclusivement nocturne («Il refait pipi au lit»)
L’énurésie secondaire nocturne est celle qui surgit après l’âge de cinq ans et après au moins trois mois de propreté nocturne réussie. Son évolution dans la durée est plus fluctuante: il n’est pas rare qu’il existe des «crises» de quelques semaines ou quelques mois, suivies de reprise de la propreté. On peut alors souvent mettre le début des crises en relation avec des événements relationnels pénibles ou avec des tensions intrapsychiques pénibles. Néanmoins, on se limite alors parfois de façon trop simpliste à réduire l’explication à un problème affectif (dans l’acception large du terme) Et ce n’est pas toujours exact: dans nombre des cas, la maturation de l’équipement organique présidant à la miction reste fragile, elle aussi. Un événement affectif mineur suffit alors à faire décompenser un appareil déjà précaire, et l’énurésie, ici aussi, est bien bio-psychosociale.
Autres formes d’énurésie
Les énurésies diurnes, ou diurnes et nocturnes
Ici, un examen pédiatrique sérieux est très important. L’enfant pourrait présenter une infection, une atteinte rénale, un diabète débutant, sucré voire insipide… dont il faut d’abord vérifier la présence ou l’absence. Ce type d’énurésie est plus rare. En voici les trois applications principales.
• Vers l’âge de cinq, six ans, on finit par remarquer une énurésie diurne inconstante, chez des enfants par ailleurs souvent nerveux, impulsifs, qui vont souvent aux toilettes faire des petits pipis. Quand ils sentent le besoin, c’est impérieux. Ils «se lâchent» notamment quand ils sont excités (film enthousiasmant) ou quand ils oublient (captivés par un jeu). C’est une autre forme d’immaturité vésicale: on parle chez eux de syndrome d’hyperexcitabilité ou d’instabilité vésicale. Si l’on consulte un pédiatre, il existe des médicaments anticholinergiques, tels l’oxybutynine, pour améliorer la maîtrise vésicale. Attention toutefois à ce que des facteurs affectifs ne se soient surajoutés !
• Une énurésie diurne d’installation précoce et tenace se rencontre chez des enfants en dehors de toute excitabilité vésicale. Elle est assez souvent liée à de la constipation, voire à de l’encoprésie sur rétention de selles. Il est plus rare qu’elle s’accompagne d’énurésie nocturne. Dans ces cas, le contexte affectif est souvent très chargé: enfants qui ont eu très peur lors de l’apprentissage de la propreté ou des toilettes de l’école ou de la crèche; anxiété et opposition à la volonté des parents; un parent entre souvent dans une escalade «folle» et la résistance énurétique (et parfois celle des selles) devient le centre du mode…
• Phases de durée plus brève, souvent chez des enfants assez jeunes, lors de grands stress, lors de traumatismes, lors de dépressions… L’enfant régresse et se laisse aller, au point de mouiller ses pantalons ou sous-vêtements de jour. Assez souvent, association d’énurésie nocturne. Une fois, une nuit… ou un jour… ou avec de larges intermittences. Surtout s’il s’agit d’un grand enfant qui avait bien acquis la propreté, ce doit être pris au sérieux. Bien sûr, on trouve parfois des explications assez évidentes (grande fatigue, prise de psychotropes sédatifs, fièvre, ne plus pouvoir se retenir dans une circonstance sociale particulière…), mais s’il n’y en a pas, on ne peut pas exclure un processus somatique, parfois même cérébral (épilepsie, tumeur…). Donc consulter un (neuro-) pédiatre.
La prise en charge
Une information sur le corps, ce qu’est l’énurésie et que va-t-elle devenir ?
Cette information peut être faite par les parents ou/et un médecin ou/et un psy, en présence ou hors présence des parents, selon les cas. Il ne s’agit pas pour l’adulte d’asséner tout ce qu’il sait, mais plutôt:
• d’écouter ce que les enfants connaissent déjà et imaginent;
• de leur demander leurs éventuelles questions et préoccupations;
• de leur proposer délicatement des informations complémentaires. Sans jamais disqualifier leurs jeunes interlocuteurs pour leurs éventuelles fausses croyances. Dans cet état d’esprit, et selon les circonstances, on peut passer en revue:
• comment l’enfant se représente le corps, l’intérieur du ventre, le fonctionnement normal de la miction et celui de l’énurésie…
• les différences filles-garçons dans ce domaine;
• comment l’enfant se représente le devenir de son énurésie, et ce que l’adulte en pense (cfr infra). Un jour ou l’autre, l’enfant aura vraiment envie et sera vraiment capable de prendre le dessus, au plus tard avec les remaniements physiques et psychiques de la puberté. Il me paraît juste de donner cet espoir avec tranquillité, en laissant dans l’ombre le petit pourcentage d’adultes chez qui le problème persiste (1 sur 500 semble-t-il). Attirer à l’avance l’attention sur ces cas revient en effet souvent à faire flamber l’angoisse et le désespoir de l’enfant, ce qui me semble être de la caricature d’information.
Tenir compte de la motivation de l’enfant
C’est un paramètre essentiel, qu’il s’agit d’évaluer et de réévaluer régulièrement et à partir duquel nous devrions moduler largement les propositions pédagogiques à la maison et l’éventuelle offre de traitement psychologique. En effet, si l’enfant est vraiment intéressé par l’idée de résoudre son problème, nous pouvons lui proposer, à lui directement, à la fois des mesures générales (souvent indiquées) et des mesures ciblées (centrées sur la gestion de son symptôme). Surtout en cas d’énurésie primaire, il faudra veiller à l’avertir que c’est un essai que l’on fait ensemble: il mérite investissement de soi et persévérance (raisonnable), mais le résultat n’est pas garanti et on verra ce que ça donne… Cela étant, nous avons sans doute un, deux types d’essais à proposer, mais pas toujours fructueux, loin de là. Si le problème persiste, la seule attitude sage finit assez souvent par être de s’incliner devant le rythme de la nature. Inversement, moins l’enfant est motivé, moins il répond à des mesures ciblées qui engagent son énergie: elles lui apparaissent ici comme des contraintes s’imposant à lui avec ruse ou violence; il faut donc y renoncer largement, voire totalement. Et à propos des mesures générales, la réaction est imprévisible: l’enfant non motivé à dépasser son problème les accepte parfois mieux, et parfois pas du tout; il faut en tout cas s’adapter à sa réponse. Une règle d’or est de ne pas prendre sur soi à la place d’un enfant passif les efforts nécessaires à l’amélioration du symptôme. Bien sûr, tout n’est pas toujours simple et, le cas échéant, nous devons tenir compte de l’éventuelle indécision de l’enfant. Alors, un pédiatre ou un psy pourrait lui proposer quelques séances de rencontre pour faire le point avec lui:
• faire connaissance;
• mieux comprendre son symptôme;
• explorer avec lui ce qu’il sait déjà de l’énurésie ou de la fonction urinaire, ce qu’on a déjà essayé de faire pour l’aider et comment il l’a vécu;
• l’informer, dans les grandes lignes, de ce qu’on pense de la situation, des possibilités de traitement et de changement d’attitudes à la maison. Cela étant, parie-t-il sur certains gestes à poser ou ne sait-il toujours pas ? Si, face à une passivité ou une incertitude persistante, l’idée de gestes directs à demander à l’enfant a été suspendue, on peut refaire régulièrement le point avec lui (tous les trois mois, tous les six mois) et relancer la question de sa motivation et des mesures ciblées.
Mesures générales proposées aux parents
Elles visent à ce que les parents contrarient moins et/ou à ce qu’ils stimulent positivement avec plus d’intensité certains «besoins profonds » présents chez leur enfant: on espère que, si ces besoins sont mieux rencontrés, la personnalité de l’enfant mûrira et que certains facteurs psychosociaux qui entretenaient son énurésie pourraient alors décroître:
• aider l’enfant à avoir davantage confiance en lui, entre autres en son «soi-sexué» (joie d’être fille ou garçon);
• lui permettre d’exprimer plus directement son agressivité, accepter son affirmation de soi;
• l’encourager à grandir, ne pas l’élever comme un bébé attardé (ah, le petit biberon du soir, qui contribue parfois à de bons gros pipis), veiller néanmoins à ce qu’il ne confonde pas auto-gestion progressive et abandon de lui par ses parents;
• l’aider à mieux gérer sa sexualité, rencontrer ses éventuelles préoccupations sexuelles;
• lutter contre de la dépression, de l’insécurité;
• étant donné que l’énurésie finit parfois par prendre une dimension d’assuétude, explorer les sources de plaisir présentes dans la vie de l’enfant; au besoin, les intensifier ou lui proposer discrètement de nouvelles sources de plaisir acceptables pour tous.
Mesures centrées sur l’énurésie proposées aux parents
Au-delà des gestes concrets, le plus important est de créer un état d’esprit tel que les parents contribuent à gérer le problème sans trop d’implication affective (surprotection, colère, escalade et bras de fer (1), fascination), en visant à ce que l’enfant (re)devienne propriétaire de son corps et de l’éventuel désir de changer. S’ils n’y arrivent pas, c’est-à-dire si l’enfant semble rester passif et indifférent, les parents peuvent veiller à ce que l’énurésie soit quand même identifiée comme «son problème», «son handicap», tout en mettant en place des mesures visant à en réduire les inconvénients pour eux-mêmes, mais sans trop s’y impliquer affectivement !
Et les gestes concrets ?
En s’adaptant aux circonstances, les parents peuvent négocier avec l’enfant les mesures que voici, et les maintenir avec sa participation active, ou à eux seuls, à condition, redisons-le, de ne pas les transformer en escalades insensées ou en violences, ni d’accroître le fait que l’enfant soit le centre du monde.
Pour l’énurésie nocturne
• restriction de l’ingestion hydrique du soir, surtout les boissons excitantes (coca…) (N.B. pas par principe: seulement s’il y a vraiment excès !); ambiance calme le soir; abstention d’excitation-TV;
• vérifier que l’enfant va bien aux toilettes juste avant de s’endormir; si l’on a remarqué qu’il urine plus ou moins à la même période de la nuit, veiller à ce qu’il se réveille un peu avant et aille aux toilettes [réveille-matin si possible ou/et éveil par un parent (pas celui pour qui l’attachement oedipien serait le plus fort)… ne pas insister si ça n’empêche pas un deuxième pipi au lit];
• le mettre au lit sans pantalon de pyjama (éviter les sensations prolongées provoquées par le linge mouillé); le faire dormir sur un drap-éponge bien absorbant; utiliser éventuellement un sousvêtement ample, voire une «protection» d’adulte, si possible mise par lui-même dans une ambiance neutre;
• si l’enfant a fait pipi au lit, lui en faire gérer les conséquences le lendemain matin, le plus possible, selon ses capacités: porter les draps lui-même à un endroit convenu, se laver tout seul, etc. Toutefois, à la mesure de ses forces et sans que ça tourne à une vengeance non avouée !
• vérifier si, tout simplement, l’enfant n’a pas très peur d’aller aux toilettes dans le noir (seau de toilette !).
S’il s’agit d’énurésie diurne sans hyperexcitabilité vésicale, on peut imaginer des mesures analogues: veiller à la régularité des mictions aux toilettes, veiller à ce que l’enfant se change et se lave seul, éventuellement «protection» d’adulte…
Mesures générales proposées à l’enfant
L’on y recourt certainement avec les enfants motivés à faire disparaître leur énurésie. Avec les autres, on pourra y penser à titre d’essai, en les maintenant ou en les suspendant selon l’intérêt qui y est progressivement porté. Ces mesures sont l’application, côté enfants, de celles que nous avons proposées plus haut pour être mises en oeuvre par les parents. Elles se réalisent dans nombre de cas simples via la seule créativité des parents. Pour les enfants plus perturbés émotionnellement, on gagne à passer par une psychothérapie «classique»
Autres mesures ciblées sur la gestion de l’énurésie, telles que nous pouvons les proposer à un enfant motivé
Nous nous limiterons à l’application «énurésie nocturne primaire». Le lecteur trouvera sans peine comment l’adapter à d’autres applications. Supposons donc un petit garçon ou une petite fille de huit ans, affectée par sa situation. Nous procédons en trois étapes. Après échanges d’idées sur le corps et la miction (cfr plus haut), je lui propose d’abord, à titre d’essai, déclaré explicitement comme tel, des gestes de gestion.
• « Responsability reinforcement discussion »: lui faire programmer des activités de soirée et d’endormissement qui pourraient prévenir l’énurésie (calme, pas de boissons excitantes, aller aux toilettes juste avant d’éteindre la lampe…). Elles se terminent par un rituel, c’est-à-dire une activité mentale destinée à montrer symboliquement à l’enfant que sa volonté finira par avoir une puissance sur son corps. Cette activité mentale, c’est une «phrase rituelle» que l’enfant se répétera à voix haute ou mentalement, lentement, par exemple trois fois de suite. Le contenu de cette phrase varie selon les circonstances. Par exemple: «Mon zizi (ma vessie, mon anneau de muscles – N.B. le sphincter), tu dois rester bien fermé(e) cette nuit»… «Si je sens que j’ai besoin, je me réveille, je me lève, je vais aux toilettes…»; ou encore, s’il avait été décidé de le réveiller à une heure précise, parce que le moment de sa miction est plus ou moins repérable: «J’entends mon réveil, je m’éveille…» ou «J’entends papa qui me réveille, je m’éveille…»
• Viser à un optimum de gestion des conséquences de l’énurésie qui persisterait, le lendemain matin.
• Jouer sur le transfert positif dirigé vers le médecin ou le psychothérapeute: s’intéresser aux efforts accomplis, au devenir du rite, demander à l’enfant de remplir un tableau indiquant s’il a bien pensé à souscrire aux rites convenus (colonnes «J’ai pensé à… Je n’ai pas pensé à…») et, plus accessoirement, indiquant les résultats (colonne pluie-soleil). Encourager les efforts et, dans une moindre mesure, les résultats. Toujours maintenir l’espérance, même si ça ne vient pas tout de suite ! Proposer aux parents une attitude analogue, mais en montrant bien à l’enfant que, s’ils ont du plaisir à ses éventuels progrès, c’est d’abord pour lui… et qu’ils peuvent assumer le non-changement avec patience. Ajouter une médicamentation: pratiquement, pas avant sept ans (2).
• Il faut bien sûr un accord de principe préalable des parents à ce propos.
• Il faut aussi expliquer qu’un médicament aide certains enfants, qu’on ne sait pas dire à l’avance lesquels et qu’il ne supprime pas la nécessaire implication concomitante de la volonté. Le médicament choisi est la vasopressine, qui améliore la situation même chez certains enfants qui semblent ne pas souffrir d’une absence d’origine rénale de concentration des urines la nuit. Si le résultat est positif, on essaie de sevrer progressivement l’enfant du médicament après trois mois. S’il n’y a pas de résultat, on peut toujours recourir aux antidépressifs tricycliques. On peut aussi abandonner pendant six mois l’idée d’un traitement médicamenteux, puis refaire un essai. Troisième étape: la non-obstination. Les mesures exposées jusqu’à présent ne permettent pas toujours de supprimer le problème, loin de là ! Chez pas mal d’enfants, seul le temps fait son oeuvre. La question du deuil du changement rapide se pose alors. Eventuellement, l’enfant ou/et ses parents poursuivront une psychothérapie, de soutien ou plus profonde, ou une guidance parentale en mettant entre parenthèses l’objectif de changement rapide du symptôme et en mettant en avant l’idée du maintien de la confiance en soi. D’humbles mesures comme la protection (« le lange adulte »), si elles sont acceptées de l’intérieur, facilitent alors parfois.
ETUDE DE CAS
Je travaille avec Pierre (presque quatorze ans) depuis ses sept ans, dans le cadre d’une thérapie de soutien, couplée à une guidance de ses parents. Pierre est le cadet d’une fratrie de cinq, avec une grande différence d’âge entre lui et ses aînés. Il a donc beaucoup de difficultés pour trouver sa place, être pris au sérieux sans devoir frimer ni se montrer plus adulte qu’il n’est et, à d’autres moments, revenir dans le principe de plaisir comme on peut encore le faire au début de l’adolescence. C’est son comportement assez nerveux en famille et quelques problèmes d’adaptation sociale qui nous valent de travailler ensemble. En outre, Pierre a présenté une énurésie primaire très tenace. Elle vient juste de disparaître à treize ans et huit mois. C’est de cette énurésie que je veux discuter. Ni lui, ni sa famille, ni moi, n’avons jamais compris pourquoi elle se maintenait, autrement que via de hasardeuses spéculations. Peut-être, très inconsciemment, un rien d’insécurité et un appel-à-la Mère: la maman de Pierre, en effet, cache une vague fatigue de la vie derrière un syndrome de fatigue chronique.
Vers l’âge de dix ans, Pierre me racontera un jour qu’il ne veut pas se marier, mais adopter mille enfants; comme ça, ceuxci n’auront jamais à affronter la douleur de savoir leur vraie maman malade. Peut-être très inconsciemment Pierre est-il aussi habité par un tout petit Pierre qui ne s’exprime pas pendant la journée et se donne le droit de faire le bébé la nuit. A noter cependant que le vrai Pierre ne reçoit aucun nursing familial pour son problème, qu’il gère entièrement seul. Alors, n’est-il pas raisonnable d’évoquer aussi une immaturité, une lenteur de développement anormale du phénotype, dont le point d’impact plus précis est indéterminable: trouble de la qualité du sommeil, circuits cérébraux, faiblesse des sphincters vésicaux, excès de production d’urine la nuit… A raisonner ainsi s’est posée la question du renoncement, que Pierre a bien dû finir par assumer, tout comme sa famille et moi! Renoncement pas immédiat, et pas démissionnaire: Pierre a essayé toutes sortes de mesures d’hygiène, de médicaments, de sonneries de réveil à différentes heures de la nuit; nous avons travaillé en thérapie et lors d’entretiens familiaux sur les hypothèses affectives précitées; vers l’âge de douze ans et demi, nous avons évoqué le réflexe conditionné que pouvait représenter le port du lange, bien qu’il se le mettait lui-même, et l’on est revenu à des expérimentations avec puis sans pantalon de pyjama.
Négatif, négatif, négatif. Et donc, petit à petit, l’énurésie n’est plus devenue ni un thème central, ni un thème tabou. Nous l’avons positionnée ensemble comme un handicap lié à la lenteur de développement d’une partie précise des fonctions de la vie, et très probablement destinée à disparaître vers treize-quatorze ans. Tant mieux si ça arrivait avant. Et nous avons parlé de beaucoup d’autres sujets…
Comprendre et gérer l’énurésie de l’enfant implique d’assumer une incertitude quant à la nature bio-psychosociale du problème. Toute énurésie est en effet un phénomène dans la genèse et l’entretien duquel peuvent jouer des causes organiques, intrapsychiques (cognitives et affectives) et sociales, soit de façon anarchique et dispersée, soit en «résonance» les unes avec les autres. On gagne dès lors à organiser la prise en charge en se référant à plusieurs paramètres.
Comment rendre compte du «phénomène-énurésie» ?
L’énurésie primaire exclusivement nocturne, sans autres symptômes
L’énurésie primaire nocturne est une miction involontaire chez un jeune enfant, qui n’a jamais ou pratiquement jamais été propre pendant son sommeil. Elle est quotidienne ou très proche de l’être.
Enfant jeune ?
Le moment où l’on déclare qu’il y a problème est variable selon la subjectivité des familles. Ce ne peut être qu’à partir d’un âge – cinq, six, sept ans – où le développement corporel et cognitif de l’enfant devrait lui permettre de se contrôler. Au début, il est probable qu’il s’agit d’un phénomène purement organique, du moins au sens large du terme: pas vraiment une maladie, mais une maturation plus lente que la normale de fonctions (corticales, nerveuses, liées à l’appareil urinaire lui-même) amenant le contrôle de la miction. Il existe un (petit) sous-groupe d’enfants où le facteur organique spécifique est différent: pendant la nuit, le rein ne concentre pas la production de liquide urinaire comme il le devrait. Alors, les urines nocturnes sont très abondantes et l’on peut observer que l’enfant urine deux, trois fois la nuit. Si l’on a un doute à ce sujet, mieux vaut consulter un pédiatre. Il existe un médicament spécifique, la vasopressine, qui compense l’immaturité rénale. Rassurez-vous: c’est une pathologie sans vraie gravité. Au fil du temps, s’y ajoutent des facteurs défavorables intrapsychiques de type cognitif: l’enfant ne pense pas qu’il pourrait contrôler sa miction. Il ne se donne donc pas de consignes mentales précises et stables visant cet objectif. Interviennent aussi des facteurs intrapsychiques affectifs.
Par exemple:
• il déprime;
• il ressent un sentiment d’infériorité;
• il devient secrètement anxieux à propos de son avenir (handicap définitif ou non ?);
• il connaît des bénéfices secondaires qui l’invitent à «rester bébé» (par exemple, beaucoup de nursing par une gentille maman; être au centre de l’intérêt de la famille; mettre le pouvoir des parents en échec);
• etc.
Quant aux parents et à l’entourage, à la longue, il leur est très difficile de ne pas «dysfonctionner» (fluctuations maladroites autour de la gestion de l’énurésie, regard «autre» sur cet enfant identifié comme «bébé, handicapé, décevant…»). Ces facteurs psychogènes et environnementaux interviennent donc pour une proportion variable dans l’entretien du problème. Parallèlement, l’évolution du facteur organique initial est, elle aussi, variable et somme toute assez mystérieuse, mais va dans l’immense majorité des cas dans le sens d’une maturation favorable; le vieil adage «l’énurésie disparaît à la puberté» n’est certainement pas tout à fait faux: c’est une époque où la musculature du bas-ventre se renforce significativement. Chaque année de vie, 15% des enfants jusqu’alors énurétiques primaires cessent de l’être.
L’énurésie secondaire exclusivement nocturne («Il refait pipi au lit»)
L’énurésie secondaire nocturne est celle qui surgit après l’âge de cinq ans et après au moins trois mois de propreté nocturne réussie. Son évolution dans la durée est plus fluctuante: il n’est pas rare qu’il existe des «crises» de quelques semaines ou quelques mois, suivies de reprise de la propreté. On peut alors souvent mettre le début des crises en relation avec des événements relationnels pénibles ou avec des tensions intrapsychiques pénibles. Néanmoins, on se limite alors parfois de façon trop simpliste à réduire l’explication à un problème affectif (dans l’acception large du terme) Et ce n’est pas toujours exact: dans nombre des cas, la maturation de l’équipement organique présidant à la miction reste fragile, elle aussi. Un événement affectif mineur suffit alors à faire décompenser un appareil déjà précaire, et l’énurésie, ici aussi, est bien bio-psychosociale.
Autres formes d’énurésie
Les énurésies diurnes, ou diurnes et nocturnes
Ici, un examen pédiatrique sérieux est très important. L’enfant pourrait présenter une infection, une atteinte rénale, un diabète débutant, sucré voire insipide… dont il faut d’abord vérifier la présence ou l’absence. Ce type d’énurésie est plus rare. En voici les trois applications principales.
• Vers l’âge de cinq, six ans, on finit par remarquer une énurésie diurne inconstante, chez des enfants par ailleurs souvent nerveux, impulsifs, qui vont souvent aux toilettes faire des petits pipis. Quand ils sentent le besoin, c’est impérieux. Ils «se lâchent» notamment quand ils sont excités (film enthousiasmant) ou quand ils oublient (captivés par un jeu). C’est une autre forme d’immaturité vésicale: on parle chez eux de syndrome d’hyperexcitabilité ou d’instabilité vésicale. Si l’on consulte un pédiatre, il existe des médicaments anticholinergiques, tels l’oxybutynine, pour améliorer la maîtrise vésicale. Attention toutefois à ce que des facteurs affectifs ne se soient surajoutés !
• Une énurésie diurne d’installation précoce et tenace se rencontre chez des enfants en dehors de toute excitabilité vésicale. Elle est assez souvent liée à de la constipation, voire à de l’encoprésie sur rétention de selles. Il est plus rare qu’elle s’accompagne d’énurésie nocturne. Dans ces cas, le contexte affectif est souvent très chargé: enfants qui ont eu très peur lors de l’apprentissage de la propreté ou des toilettes de l’école ou de la crèche; anxiété et opposition à la volonté des parents; un parent entre souvent dans une escalade «folle» et la résistance énurétique (et parfois celle des selles) devient le centre du mode…
• Phases de durée plus brève, souvent chez des enfants assez jeunes, lors de grands stress, lors de traumatismes, lors de dépressions… L’enfant régresse et se laisse aller, au point de mouiller ses pantalons ou sous-vêtements de jour. Assez souvent, association d’énurésie nocturne. Une fois, une nuit… ou un jour… ou avec de larges intermittences. Surtout s’il s’agit d’un grand enfant qui avait bien acquis la propreté, ce doit être pris au sérieux. Bien sûr, on trouve parfois des explications assez évidentes (grande fatigue, prise de psychotropes sédatifs, fièvre, ne plus pouvoir se retenir dans une circonstance sociale particulière…), mais s’il n’y en a pas, on ne peut pas exclure un processus somatique, parfois même cérébral (épilepsie, tumeur…). Donc consulter un (neuro-) pédiatre.
La prise en charge
Une information sur le corps, ce qu’est l’énurésie et que va-t-elle devenir ?
Cette information peut être faite par les parents ou/et un médecin ou/et un psy, en présence ou hors présence des parents, selon les cas. Il ne s’agit pas pour l’adulte d’asséner tout ce qu’il sait, mais plutôt:
• d’écouter ce que les enfants connaissent déjà et imaginent;
• de leur demander leurs éventuelles questions et préoccupations;
• de leur proposer délicatement des informations complémentaires. Sans jamais disqualifier leurs jeunes interlocuteurs pour leurs éventuelles fausses croyances. Dans cet état d’esprit, et selon les circonstances, on peut passer en revue:
• comment l’enfant se représente le corps, l’intérieur du ventre, le fonctionnement normal de la miction et celui de l’énurésie…
• les différences filles-garçons dans ce domaine;
• comment l’enfant se représente le devenir de son énurésie, et ce que l’adulte en pense (cfr infra). Un jour ou l’autre, l’enfant aura vraiment envie et sera vraiment capable de prendre le dessus, au plus tard avec les remaniements physiques et psychiques de la puberté. Il me paraît juste de donner cet espoir avec tranquillité, en laissant dans l’ombre le petit pourcentage d’adultes chez qui le problème persiste (1 sur 500 semble-t-il). Attirer à l’avance l’attention sur ces cas revient en effet souvent à faire flamber l’angoisse et le désespoir de l’enfant, ce qui me semble être de la caricature d’information.
Tenir compte de la motivation de l’enfant
C’est un paramètre essentiel, qu’il s’agit d’évaluer et de réévaluer régulièrement et à partir duquel nous devrions moduler largement les propositions pédagogiques à la maison et l’éventuelle offre de traitement psychologique. En effet, si l’enfant est vraiment intéressé par l’idée de résoudre son problème, nous pouvons lui proposer, à lui directement, à la fois des mesures générales (souvent indiquées) et des mesures ciblées (centrées sur la gestion de son symptôme). Surtout en cas d’énurésie primaire, il faudra veiller à l’avertir que c’est un essai que l’on fait ensemble: il mérite investissement de soi et persévérance (raisonnable), mais le résultat n’est pas garanti et on verra ce que ça donne… Cela étant, nous avons sans doute un, deux types d’essais à proposer, mais pas toujours fructueux, loin de là. Si le problème persiste, la seule attitude sage finit assez souvent par être de s’incliner devant le rythme de la nature. Inversement, moins l’enfant est motivé, moins il répond à des mesures ciblées qui engagent son énergie: elles lui apparaissent ici comme des contraintes s’imposant à lui avec ruse ou violence; il faut donc y renoncer largement, voire totalement. Et à propos des mesures générales, la réaction est imprévisible: l’enfant non motivé à dépasser son problème les accepte parfois mieux, et parfois pas du tout; il faut en tout cas s’adapter à sa réponse. Une règle d’or est de ne pas prendre sur soi à la place d’un enfant passif les efforts nécessaires à l’amélioration du symptôme. Bien sûr, tout n’est pas toujours simple et, le cas échéant, nous devons tenir compte de l’éventuelle indécision de l’enfant. Alors, un pédiatre ou un psy pourrait lui proposer quelques séances de rencontre pour faire le point avec lui:
• faire connaissance;
• mieux comprendre son symptôme;
• explorer avec lui ce qu’il sait déjà de l’énurésie ou de la fonction urinaire, ce qu’on a déjà essayé de faire pour l’aider et comment il l’a vécu;
• l’informer, dans les grandes lignes, de ce qu’on pense de la situation, des possibilités de traitement et de changement d’attitudes à la maison. Cela étant, parie-t-il sur certains gestes à poser ou ne sait-il toujours pas ? Si, face à une passivité ou une incertitude persistante, l’idée de gestes directs à demander à l’enfant a été suspendue, on peut refaire régulièrement le point avec lui (tous les trois mois, tous les six mois) et relancer la question de sa motivation et des mesures ciblées.
Mesures générales proposées aux parents
Elles visent à ce que les parents contrarient moins et/ou à ce qu’ils stimulent positivement avec plus d’intensité certains «besoins profonds » présents chez leur enfant: on espère que, si ces besoins sont mieux rencontrés, la personnalité de l’enfant mûrira et que certains facteurs psychosociaux qui entretenaient son énurésie pourraient alors décroître:
• aider l’enfant à avoir davantage confiance en lui, entre autres en son «soi-sexué» (joie d’être fille ou garçon);
• lui permettre d’exprimer plus directement son agressivité, accepter son affirmation de soi;
• l’encourager à grandir, ne pas l’élever comme un bébé attardé (ah, le petit biberon du soir, qui contribue parfois à de bons gros pipis), veiller néanmoins à ce qu’il ne confonde pas auto-gestion progressive et abandon de lui par ses parents;
• l’aider à mieux gérer sa sexualité, rencontrer ses éventuelles préoccupations sexuelles;
• lutter contre de la dépression, de l’insécurité;
• étant donné que l’énurésie finit parfois par prendre une dimension d’assuétude, explorer les sources de plaisir présentes dans la vie de l’enfant; au besoin, les intensifier ou lui proposer discrètement de nouvelles sources de plaisir acceptables pour tous.
Mesures centrées sur l’énurésie proposées aux parents
Au-delà des gestes concrets, le plus important est de créer un état d’esprit tel que les parents contribuent à gérer le problème sans trop d’implication affective (surprotection, colère, escalade et bras de fer (1), fascination), en visant à ce que l’enfant (re)devienne propriétaire de son corps et de l’éventuel désir de changer. S’ils n’y arrivent pas, c’est-à-dire si l’enfant semble rester passif et indifférent, les parents peuvent veiller à ce que l’énurésie soit quand même identifiée comme «son problème», «son handicap», tout en mettant en place des mesures visant à en réduire les inconvénients pour eux-mêmes, mais sans trop s’y impliquer affectivement !
Et les gestes concrets ?
En s’adaptant aux circonstances, les parents peuvent négocier avec l’enfant les mesures que voici, et les maintenir avec sa participation active, ou à eux seuls, à condition, redisons-le, de ne pas les transformer en escalades insensées ou en violences, ni d’accroître le fait que l’enfant soit le centre du monde.
Pour l’énurésie nocturne
• restriction de l’ingestion hydrique du soir, surtout les boissons excitantes (coca…) (N.B. pas par principe: seulement s’il y a vraiment excès !); ambiance calme le soir; abstention d’excitation-TV;
• vérifier que l’enfant va bien aux toilettes juste avant de s’endormir; si l’on a remarqué qu’il urine plus ou moins à la même période de la nuit, veiller à ce qu’il se réveille un peu avant et aille aux toilettes [réveille-matin si possible ou/et éveil par un parent (pas celui pour qui l’attachement oedipien serait le plus fort)… ne pas insister si ça n’empêche pas un deuxième pipi au lit];
• le mettre au lit sans pantalon de pyjama (éviter les sensations prolongées provoquées par le linge mouillé); le faire dormir sur un drap-éponge bien absorbant; utiliser éventuellement un sousvêtement ample, voire une «protection» d’adulte, si possible mise par lui-même dans une ambiance neutre;
• si l’enfant a fait pipi au lit, lui en faire gérer les conséquences le lendemain matin, le plus possible, selon ses capacités: porter les draps lui-même à un endroit convenu, se laver tout seul, etc. Toutefois, à la mesure de ses forces et sans que ça tourne à une vengeance non avouée !
• vérifier si, tout simplement, l’enfant n’a pas très peur d’aller aux toilettes dans le noir (seau de toilette !).
S’il s’agit d’énurésie diurne sans hyperexcitabilité vésicale, on peut imaginer des mesures analogues: veiller à la régularité des mictions aux toilettes, veiller à ce que l’enfant se change et se lave seul, éventuellement «protection» d’adulte…
Mesures générales proposées à l’enfant
L’on y recourt certainement avec les enfants motivés à faire disparaître leur énurésie. Avec les autres, on pourra y penser à titre d’essai, en les maintenant ou en les suspendant selon l’intérêt qui y est progressivement porté. Ces mesures sont l’application, côté enfants, de celles que nous avons proposées plus haut pour être mises en oeuvre par les parents. Elles se réalisent dans nombre de cas simples via la seule créativité des parents. Pour les enfants plus perturbés émotionnellement, on gagne à passer par une psychothérapie «classique»
Autres mesures ciblées sur la gestion de l’énurésie, telles que nous pouvons les proposer à un enfant motivé
Nous nous limiterons à l’application «énurésie nocturne primaire». Le lecteur trouvera sans peine comment l’adapter à d’autres applications. Supposons donc un petit garçon ou une petite fille de huit ans, affectée par sa situation. Nous procédons en trois étapes. Après échanges d’idées sur le corps et la miction (cfr plus haut), je lui propose d’abord, à titre d’essai, déclaré explicitement comme tel, des gestes de gestion.
• « Responsability reinforcement discussion »: lui faire programmer des activités de soirée et d’endormissement qui pourraient prévenir l’énurésie (calme, pas de boissons excitantes, aller aux toilettes juste avant d’éteindre la lampe…). Elles se terminent par un rituel, c’est-à-dire une activité mentale destinée à montrer symboliquement à l’enfant que sa volonté finira par avoir une puissance sur son corps. Cette activité mentale, c’est une «phrase rituelle» que l’enfant se répétera à voix haute ou mentalement, lentement, par exemple trois fois de suite. Le contenu de cette phrase varie selon les circonstances. Par exemple: «Mon zizi (ma vessie, mon anneau de muscles – N.B. le sphincter), tu dois rester bien fermé(e) cette nuit»… «Si je sens que j’ai besoin, je me réveille, je me lève, je vais aux toilettes…»; ou encore, s’il avait été décidé de le réveiller à une heure précise, parce que le moment de sa miction est plus ou moins repérable: «J’entends mon réveil, je m’éveille…» ou «J’entends papa qui me réveille, je m’éveille…»
• Viser à un optimum de gestion des conséquences de l’énurésie qui persisterait, le lendemain matin.
• Jouer sur le transfert positif dirigé vers le médecin ou le psychothérapeute: s’intéresser aux efforts accomplis, au devenir du rite, demander à l’enfant de remplir un tableau indiquant s’il a bien pensé à souscrire aux rites convenus (colonnes «J’ai pensé à… Je n’ai pas pensé à…») et, plus accessoirement, indiquant les résultats (colonne pluie-soleil). Encourager les efforts et, dans une moindre mesure, les résultats. Toujours maintenir l’espérance, même si ça ne vient pas tout de suite ! Proposer aux parents une attitude analogue, mais en montrant bien à l’enfant que, s’ils ont du plaisir à ses éventuels progrès, c’est d’abord pour lui… et qu’ils peuvent assumer le non-changement avec patience. Ajouter une médicamentation: pratiquement, pas avant sept ans (2).
• Il faut bien sûr un accord de principe préalable des parents à ce propos.
• Il faut aussi expliquer qu’un médicament aide certains enfants, qu’on ne sait pas dire à l’avance lesquels et qu’il ne supprime pas la nécessaire implication concomitante de la volonté. Le médicament choisi est la vasopressine, qui améliore la situation même chez certains enfants qui semblent ne pas souffrir d’une absence d’origine rénale de concentration des urines la nuit. Si le résultat est positif, on essaie de sevrer progressivement l’enfant du médicament après trois mois. S’il n’y a pas de résultat, on peut toujours recourir aux antidépressifs tricycliques. On peut aussi abandonner pendant six mois l’idée d’un traitement médicamenteux, puis refaire un essai. Troisième étape: la non-obstination. Les mesures exposées jusqu’à présent ne permettent pas toujours de supprimer le problème, loin de là ! Chez pas mal d’enfants, seul le temps fait son oeuvre. La question du deuil du changement rapide se pose alors. Eventuellement, l’enfant ou/et ses parents poursuivront une psychothérapie, de soutien ou plus profonde, ou une guidance parentale en mettant entre parenthèses l’objectif de changement rapide du symptôme et en mettant en avant l’idée du maintien de la confiance en soi. D’humbles mesures comme la protection (« le lange adulte »), si elles sont acceptées de l’intérieur, facilitent alors parfois.
ETUDE DE CAS
Je travaille avec Pierre (presque quatorze ans) depuis ses sept ans, dans le cadre d’une thérapie de soutien, couplée à une guidance de ses parents. Pierre est le cadet d’une fratrie de cinq, avec une grande différence d’âge entre lui et ses aînés. Il a donc beaucoup de difficultés pour trouver sa place, être pris au sérieux sans devoir frimer ni se montrer plus adulte qu’il n’est et, à d’autres moments, revenir dans le principe de plaisir comme on peut encore le faire au début de l’adolescence. C’est son comportement assez nerveux en famille et quelques problèmes d’adaptation sociale qui nous valent de travailler ensemble. En outre, Pierre a présenté une énurésie primaire très tenace. Elle vient juste de disparaître à treize ans et huit mois. C’est de cette énurésie que je veux discuter. Ni lui, ni sa famille, ni moi, n’avons jamais compris pourquoi elle se maintenait, autrement que via de hasardeuses spéculations. Peut-être, très inconsciemment, un rien d’insécurité et un appel-à-la Mère: la maman de Pierre, en effet, cache une vague fatigue de la vie derrière un syndrome de fatigue chronique.
Vers l’âge de dix ans, Pierre me racontera un jour qu’il ne veut pas se marier, mais adopter mille enfants; comme ça, ceuxci n’auront jamais à affronter la douleur de savoir leur vraie maman malade. Peut-être très inconsciemment Pierre est-il aussi habité par un tout petit Pierre qui ne s’exprime pas pendant la journée et se donne le droit de faire le bébé la nuit. A noter cependant que le vrai Pierre ne reçoit aucun nursing familial pour son problème, qu’il gère entièrement seul. Alors, n’est-il pas raisonnable d’évoquer aussi une immaturité, une lenteur de développement anormale du phénotype, dont le point d’impact plus précis est indéterminable: trouble de la qualité du sommeil, circuits cérébraux, faiblesse des sphincters vésicaux, excès de production d’urine la nuit… A raisonner ainsi s’est posée la question du renoncement, que Pierre a bien dû finir par assumer, tout comme sa famille et moi! Renoncement pas immédiat, et pas démissionnaire: Pierre a essayé toutes sortes de mesures d’hygiène, de médicaments, de sonneries de réveil à différentes heures de la nuit; nous avons travaillé en thérapie et lors d’entretiens familiaux sur les hypothèses affectives précitées; vers l’âge de douze ans et demi, nous avons évoqué le réflexe conditionné que pouvait représenter le port du lange, bien qu’il se le mettait lui-même, et l’on est revenu à des expérimentations avec puis sans pantalon de pyjama.
Négatif, négatif, négatif. Et donc, petit à petit, l’énurésie n’est plus devenue ni un thème central, ni un thème tabou. Nous l’avons positionnée ensemble comme un handicap lié à la lenteur de développement d’une partie précise des fonctions de la vie, et très probablement destinée à disparaître vers treize-quatorze ans. Tant mieux si ça arrivait avant. Et nous avons parlé de beaucoup d’autres sujets…
tedles-
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Re: L’énurésie et sa prise en charge
merci pour le partage c très intéressant
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Re: L’énurésie et sa prise en charge
Merci pour le partage .
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