j ai lu pour vous.
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j ai lu pour vous.
L’acceptation de la maladie
The acceptance of the illness
André Grimaldi
Service de diabétologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris
La maladie chronique est le grand défi de notre système de santé, l’obligeant à revoir son organisation et menaçant son financement solidaire. Mais c’est aussi, les gestionnaires l’oublient trop souvent, un défi pour les patients comme pour les médecins. L’annonce du diagnostic d’une maladie chronique − ce ne sera jamais plus comme avant et c’est pour toujours − évoque inexorablement le terme de la vie. C’est pourquoi le travail d’acceptation de la maladie a été assimilé à un travail de deuil soumis à ses lois. “Tout nouveau deuil ravive tous les deuils antérieurs et tout deuil non fait interdit tout nouveau deuil.” Chacun de nous serait donc ainsi doté d’une plus ou moins grande “aptitude au deuil” (lorsque je vis M. S., diabétique mal équilibré, pour la première fois, il me dit d’un ton ferme : “Pouvez-vous, s’il vous plaît, docteur, ne pas me dire que je n’accepte pas ma maladie”, et 15 minutes plus tard, il m’apprenait qu’il avait un fils unique et qu’un jour il l’avait trouvé pendu).
Pour éviter le risque d’effondrement psychique ou de dépression inhérent au deuil, le patient peut mettre en oeuvre des mécanismes de défense : le déni, la pensée magique, la minimisation, la dénégation, le clivage, les conduites à risque, voire les addictions… Ces mécanismes initialement protecteurs deviennent, en se chronicisant, une deuxième maladie qui, parfois, fait souffrir le patient en secret et surtout peut menacer sa vie. Le patient a 2 maladies : il est malade et il est malade d’être malade. L’individualisme exacerbé de notre société postmoderne laisse entendre que l’individu est libre de ses choix et qu’il est donc responsable de leurs conséquences. Mais la double maladie n’est pas le résultat d’un choix fait en toute liberté, après une information éclairée et une délibération raisonnée.
Car l’autonomie du patient a été plus ou moins brisée par l’annonce du diagnostic. La reconquête de cette autonomie suppose la guérison de cette deuxième maladie. Il est donc essentiel d’en faciliter l’expression par le malade pour que, malgré les ruses de la raison, il en prenne conscience avant d’en prendre distance grâce à un travail de “réflectivité”. Comme le disait Hannah Arendt : “Tous les chagrins sont supportables si on en fait un conte ou si on les raconte.” Et Boris Cyrulnik d’ajouter : “C’est difficile de s’adresser à quelqu’un pour expliquer ce que l’on a vécu.” Encore faut-il, en effet, que les soignants témoignent d’une empathie, c’est-à-dire qu’ils soient non seulement disposés à écouter, mais aussi aptes à comprendre et à se laisser toucher. “N’y a-t-il pas, dans tout récit de patient apparemment banal, de quoi nous émouvoir ?”, interroge la psychologue Anne Lacroix. Du coup, un élément essentiel pour lutter contre l’objectivation des patients par les soignants et contre “l’industrialisation de la médecine” me semble être le développement de l’empathie des professionnels de santé. Une étude récente (1) montre qu’il existe une relation inverse entre l’empathie des médecins traitants et le taux d’hémoglobine A1c de leurs patients diabétiques. Le dogme ancestral selon lequel un professionnel doit se couper de ses affects me paraît aujourd’hui totalement erroné. Il est urgent de faire entrer les sciences humaines dans les études médicales, de permettre l’expression des émotions des professionnels et notamment des étudiants, et de donner toute sa place, à côté de l’observation médicale du patient, à la “médecine narrative” (2).
Références
1. Hojat M, Louis DZ, Markham FW et al. Physicians’ empathy and clinical outcomes for diabetic patients. Acad Med 2011;86(3):359-64.
2. Charon R. Narrative and Medicine. N Engl J Med 2004;350(9):862-4.
The acceptance of the illness
André Grimaldi
Service de diabétologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris
La maladie chronique est le grand défi de notre système de santé, l’obligeant à revoir son organisation et menaçant son financement solidaire. Mais c’est aussi, les gestionnaires l’oublient trop souvent, un défi pour les patients comme pour les médecins. L’annonce du diagnostic d’une maladie chronique − ce ne sera jamais plus comme avant et c’est pour toujours − évoque inexorablement le terme de la vie. C’est pourquoi le travail d’acceptation de la maladie a été assimilé à un travail de deuil soumis à ses lois. “Tout nouveau deuil ravive tous les deuils antérieurs et tout deuil non fait interdit tout nouveau deuil.” Chacun de nous serait donc ainsi doté d’une plus ou moins grande “aptitude au deuil” (lorsque je vis M. S., diabétique mal équilibré, pour la première fois, il me dit d’un ton ferme : “Pouvez-vous, s’il vous plaît, docteur, ne pas me dire que je n’accepte pas ma maladie”, et 15 minutes plus tard, il m’apprenait qu’il avait un fils unique et qu’un jour il l’avait trouvé pendu).
Pour éviter le risque d’effondrement psychique ou de dépression inhérent au deuil, le patient peut mettre en oeuvre des mécanismes de défense : le déni, la pensée magique, la minimisation, la dénégation, le clivage, les conduites à risque, voire les addictions… Ces mécanismes initialement protecteurs deviennent, en se chronicisant, une deuxième maladie qui, parfois, fait souffrir le patient en secret et surtout peut menacer sa vie. Le patient a 2 maladies : il est malade et il est malade d’être malade. L’individualisme exacerbé de notre société postmoderne laisse entendre que l’individu est libre de ses choix et qu’il est donc responsable de leurs conséquences. Mais la double maladie n’est pas le résultat d’un choix fait en toute liberté, après une information éclairée et une délibération raisonnée.
Car l’autonomie du patient a été plus ou moins brisée par l’annonce du diagnostic. La reconquête de cette autonomie suppose la guérison de cette deuxième maladie. Il est donc essentiel d’en faciliter l’expression par le malade pour que, malgré les ruses de la raison, il en prenne conscience avant d’en prendre distance grâce à un travail de “réflectivité”. Comme le disait Hannah Arendt : “Tous les chagrins sont supportables si on en fait un conte ou si on les raconte.” Et Boris Cyrulnik d’ajouter : “C’est difficile de s’adresser à quelqu’un pour expliquer ce que l’on a vécu.” Encore faut-il, en effet, que les soignants témoignent d’une empathie, c’est-à-dire qu’ils soient non seulement disposés à écouter, mais aussi aptes à comprendre et à se laisser toucher. “N’y a-t-il pas, dans tout récit de patient apparemment banal, de quoi nous émouvoir ?”, interroge la psychologue Anne Lacroix. Du coup, un élément essentiel pour lutter contre l’objectivation des patients par les soignants et contre “l’industrialisation de la médecine” me semble être le développement de l’empathie des professionnels de santé. Une étude récente (1) montre qu’il existe une relation inverse entre l’empathie des médecins traitants et le taux d’hémoglobine A1c de leurs patients diabétiques. Le dogme ancestral selon lequel un professionnel doit se couper de ses affects me paraît aujourd’hui totalement erroné. Il est urgent de faire entrer les sciences humaines dans les études médicales, de permettre l’expression des émotions des professionnels et notamment des étudiants, et de donner toute sa place, à côté de l’observation médicale du patient, à la “médecine narrative” (2).
Références
1. Hojat M, Louis DZ, Markham FW et al. Physicians’ empathy and clinical outcomes for diabetic patients. Acad Med 2011;86(3):359-64.
2. Charon R. Narrative and Medicine. N Engl J Med 2004;350(9):862-4.
ben mouhammed-
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