Brûlures caustiques de l'oesophage
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Brûlures caustiques de l'oesophage
Brûlures caustiques de l'oesophage F MOUREY, L MARTIN, L JACOB Service d'anesthésie-réanimation chirurgicale, hôpital Saint-Louis, Paris Points essentiels · L'ingestion de caustique réalise une urgence diagnostique et thérapeutique qui doit être prise en charge en milieu spécialisé. · Le bilan initial endoscopique permet de faire l'inventaire des lésions digestives et respiratoires qui conditionnent le pronostic et commandent la stratégie thérapeutique. · Il ne faut surtout pas faire vomir ou faire ingérer quoi que ce soit aux patients avant leur hospitalisation en milieu spécialisé. Ceci n'aurait pour conséquence que d'aggraver les lésions. · Devant des lésions nécrotiques étendues, une chirurgie d'exérèse en urgence s'impose. · L'existence de lésions trachéobronchiques graves par contiguïté, ou par inhalation de caustiques, représente un des facteurs importants de la mortalité de ces patients. Elles imposent un abord chirurgical direct par thoracotomie pour l'exérèse de l'oesophage et pour le traitement des brûlures trachéobronchiques. · La mise en place d'une jéjunostomie au stade initial de l'évolution est indispensable en cas d'oesophagectomie ou en cas de lésions profondes ou étendues interdisant toute alimentation au cours des premiers mois. · L'intervention d'exérèse en urgence se caractérise par l'association d'une intubation difficile du fait des brûlures oropharyngées et d'un estomac plein. L'intubation trachéale sous fibroscopie est une technique appropriée. · Le traitement des séquelles est long et délicat. Il fait appel, après plusieurs mois, aux dilatations oesophagiennes et/ou aux reconstructions par oesophagoplasties coliques ou gastriques éventuellement associées à une pharyngoplastie. · Le pronostic ultérieur est souvent grevé par des pneumopathies d'inhalation itératives dues à une incompétence pharyngolaryngée. · Le terrain psychiatrique et la collaboration du patient vont conditionner les possibilités de reconstruction chirurgicale ultérieures. L'ingestion de caustique réalise une urgence diagnostique et thérapeutique, qui relève d'une prise en charge médicochirurgicale en unité spécialisée disposant à tout moment d'endoscopie digestive et bronchique. L'analyse de cette pathologie, ainsi que l'attitude thérapeutique proposée, découlent de l'expérience du service de chirurgie viscérale et thoracique de l'hôpital Saint-Louis qui s'appuie sur une série de plus de mille patients. Épidémiologie Aux États-Unis, les centres antipoisons recensent environ 26 000 ingestions de produits caustiques par an, dont 17 000 enfants [1] . Patients Chez l'adulte, l'ingestion de caustique est le plus souvent le fait de patients suicidaires ou atteints d'affections psychiatriques graves qui représentent 87 % des patients de l'hôpital Saint-Louis [2] . Les ingestions accidentelles sont souvent plus bénignes, parfois favorisées par l'intoxication éthylique aiguë [3] . Produits en cause On définit comme caustique toute substance susceptible du fait de son pH ou de son pouvoir oxydant d'induire des lésions tissulaires [4] [5] [6] . Les oxydants sont les plus fréquemment en cause (38 %) : il s'agit d'eau de Javel surtout, de permanganate de potassium, ou d'eau oxygénée. Les bases fortes viennent ensuite (34 %) avec essentiellement la soude caustique, notamment additionnées d'un agent tensioactif (Destop®, Decapfour®). Les acides forts sont moins fréquents (17 %) : acide sulfurique, acide nitrique, acide chlorhydrique. Les produits divers (11 %) viennent ensuite (white spirit, rubigine, formol...) La gravité et la localisation des lésions dépendent de plusieurs facteurs [7] . Le pouvoir corrosif de la substance représenté par son pH ou son pouvoir oxydant, et par sa concentration. Les acides provoquent une nécrose de coagulation de la paroi digestive tendant à limiter la pénétration vers les plans profonds. Par ailleurs, la stase acide gastrique provoque un spasme pylorique qui protège le duodénum, mais favorise la prédominance des lésions antrales [8] [9] [10] . Les bases entraînent une nécrose de liquéfaction avec saponification des lipides et des protéines de la paroi, permettant une pénétration pariétale lente et en profondeur. Les oxydants possèdent un pouvoir caustique réel lorsqu'ils sont sous forme concentrée et peuvent entraîner des lésions graves, souvent retardées, en particulier à l'étage gastrique [1] [11] . La quantité ingérée : une ingestion de 150 mL (un verre) d'un acide ou d'une base forte est considérée comme massive [3] . La viscosité du produit conditionne la durée de contact avec la muqueuse. Les agents tensioactifs augmentent cette durée. Prise en charge initiale du patient Avant l'hospitalisation Certains gestes sont à proscrire afin de ne pas aggraver les lésions déjà constituées. Les antidotes n'existent pas. Il faut éviter d'administrer per-os des produits pouvant favoriser les fausses routes et perturber la réalisation de l'endoscopie digestive. Faire vomir, expose à l'aggravation des lésions (second passage) et à l'inhalation bronchique. De même, la mise en place d'une sonde gastrique expose à un risque similaire. En revanche, il semble nécessaire de : - médicaliser la prise en charge et le transport du patient (Smur) ; - recueillir des renseignements sur le caustique ingéré (concentration, nature, volume, heure d'ingestion) ; - rechercher des stigmates de poly-intoxication (médicamenteuse ou alcoolique) et la cause de l'ingestion (accidentelle, suicidaire et ses raisons) ; - oxygéner le patient en évitant si possible, sauf en cas de détresse vitale, une intubation trachéale. (Il s'agit d'intubations souvent difficiles, qui gênent l'évaluation ultérieure des lésions trachéales et qui exposent au risque d'essaimage des produits caustiques dans les voies aériennes) ; - diriger le patient vers une structure spécialisée où une prise en charge multidisciplinaire est possible en permanence (anesthésie-réanimation, chirurgie, et endoscopie digestive et bronchique). Évaluation des lésions digestives En dehors d'une détresse vitale, l'urgence est à l'endoscopie digestive. L'examen clinique recherche des signes de perforation oesophagienne (emphysème sous-cutané, douleur thoracique à irradiation dorsale) ou gastrique (contracture abdominale). Les examens radiologiques se résument au cliché du thorax à la recherche de signes de perforation (pneumomédiastin, pneumothorax) ainsi qu'à l'abdomen sans préparation avec cliché centré sur les coupoles diaphragmatiques (pneumopéritoine). Les explorations radiologiques avec opacification digestive sont proscrites à ce stade [2] [9] [10] [12] car les informations obtenues sont inférieures à celles de l'endoscopie et le risque d'inhalation bronchique n'est pas nul. L'endoscopie digestive doit être réalisée en urgence en dehors d'une perforation évidente, car il n'existe pas de parallélisme entre les lésions buccales et digestives [2] [9] [10] [13] [14] . Elle possède un intérêt diagnostique, thérapeutique, et évolutif, permettant une classification des lésions en 4 stades. Stade 0 : examen normal ; Stade 1 : érythème muqueux ; Stade 2 : ulcérations muqueuses ; Stade 3 : nécroses locales ou étendues. Cette classification peut être difficile à obtenir lors du premier examen (surtout en cas de brûlure sévère), celui-ci sera répété au moindre doute en l'absence de critères de gravité au bout de quelques heures. Cet examen est indispensable au choix d'une stratégie thérapeutique immédiate. Il est néanmoins grevé d'une certaine morbidité (inhalation, perforation), justifiant encore la nécessité d'une prise en charge en milieu spécialisé permettant le traitement chirurgical immédiat de ces complications précoces. Le risque de perforation digestive induite par l'endoscopie semble minime (1 cas sur 935 dans l'expérience de l'hôpital Saint-Louis). Évaluation des lésions respiratoires L'examen clinique recherche une détresse respiratoire : - par obstruction de la filière respiratoire : elle est due à un oedème glottique ou sus-glottique par brûlure et régresse souvent sous traitement symptomatique ; l'examen ORL précoce permet de faire le bilan lésionnel et de suivre l'évolution des lésions ; - par atteinte parenchymateuse secondaire à une pneumopathie d'inhalation ou à l'ingestion de caustiques volatils ; - par acidose métabolique franche, apparaissant au décours d'une intoxication massive par un acide fort concentré et responsable d'une polypnée compensatrice [6] . La radiographie de thorax de face et la mesure des gaz du sang artériel complètent cet examen. L'endoscopie trachéobronchique est indiquée dès qu'il existe des lésions digestives de stade 2 tant le pronostic vital à court terme est conditionné par la nécrose de l'arbre aérien [3] [4] [15] . L'endoscopie bronchique permet également d'effectuer des prélèvements bactériologiques en cas de suspicion d'inhalation et de lever une atélectasie. Éventuellement, cet examen permet de positionner la sonde d'intubation en zone de muqueuse saine. L'endoscopie permet schématiquement de classer les brûlures trachéobronchiques en 4 stades [16] . Stade I : destruction superficielle de la muqueuse ; Stade II : destruction profonde de la muqueuse ; Stades III et IV :destruction des couches sous muqueuses plus ou moins étendues. De plus, la topographie des lésions permet une approche du mécanisme de l'atteinte trachéobronchique [17] : - mécanisme indirect par diffusion à partir de l'oesophage, lorsque les lésions siègent dans la partie gauche du mur postérieur de la trachée, de la carène, ou les deux premiers centimètres de la bronche souche gauche ; - direct par inhalation devant des lésions diffuses de la muqueuse trachéale ou prédominant à droite. Cette évaluation des lésions respiratoires est également indispensable au choix d'une stratégie chirurgicale puisque l'existence des lésions trachéales contre-indique la chirurgie d'exérèse oesophagienne par stripping qui exposerait aux risques de perforation trachéobronchique. Critères de gravité Des éléments de gravité peuvent être relevés dès le bilan initial [3] [4] [6] , bien que ceux-ci n'aient pas été formellement validés par une étude contrôlée. Ils comprennent : une ingestion massive (> 150 mL) d'un acide ou d'une base fort, des signes de péritonite et de perforation d'un organe creux, un état de choc, une hypoxie, une acidose et des troubles psychiques (confusion, agitation). Les critères endoscopiques de gravité restent bien entendu les critères majeurs. Place de la chirurgie en urgence Indications Les patients ayant des signes patents de perforations digestives doivent évidement être opérés en urgence [4] [7] [18] [19] . L'existence d'un des signes de gravité est un argument précieux en faveur d'une exérèse en urgence lors de la découverte de lésions endoscopiques de stade 2-3 disposées en mosaïque. La découverte d'un stade 3 diffus impose la chirurgie en urgence, afin d'éviter la diffusion médiastinale ou péritonéale du produit. L'indication chirurgicale en urgence peut aussi découler de la localisation des lésions et de l'éventuelle atteinte bronchique. L'attitude vis-à-vis d'une brûlure stade 3 de l'estomac semble assez claire. La plupart des auteurs considèrent qu'il faut réaliser une gastrectomie totale, sachant que la perforation gastrique est le facteur létal dans les premières heures [4] . Devant un oesophage présentant des lésions de stade 2-3 ou 3, l'oesophagectomie par stripping semble justifiée si l'arbre trachéobronchique est indemne de toute brûlure. La principale cause de mortalité de ces brûlures sévères de l'oesophage semble être la diffusion transmurale du caustique vers l'arbre trachéobronchique : 50 % des décès après stripping sont dus à la survenue d'une nécrose trachéobronchique secondaire chez des patients pris en charge tardivement (> 12 heures) [4] [17] [19] . En cas de brûlure trachéobronchique par diffusion de caustique, on réalise une oesophagectomie par thoracotomie droite. Le traitement des brûlures trachéobronchiques consiste en une interposition d'une languette pulmonaire ou d'un lambeau musculaire [17] [19] . Lors de la laparotomie exploratrice précédant la chirurgie d'exérèse, le bilan des lésions peut découvrir des brûlures associées qu'il faudra traiter : pancréatique (duodéno-pancréatectomie-céphalique), duodénale ou splénique (splénectomie)... Parfois, aucune chirurgie curative est envisageable : dans notre expérience cette éventualité représente 2,4 % de toutes les brûlures caustiques [7] . Techniques chirurgicales Stripping de l'oesophage Le patient est installé en décubitus dorsal, un billot sous les épaules, la tête en hyperextension tournée vers la droite. L'abdomen est exploré par une incision bi-sous-costale. L'oesophage cervical est abordé par une incision pré-sternocléïdo-mastoïdienne gauche. La nécrose pan-pariétale est confirmée par l'aspect noir de la musculeuse après dissection de l'oesophage cervical et abdominal. L'oesophage cervical est sectionné le plus bas possible. Une sonde en silicone est introduite dans la lumière oesophagienne et poussée jusqu'au pylore. La sonde est fixée à l'oesophage et un drain est solidarisé à l'ensemble. Après dissection au doigt au niveau cervical et hiatal, une traction douce sur la sonde provoque l'invagination de l'oesophage et son stripping. Le drain médiastinal est extériorisé dans l'hypocondre gauche. La gastrectomie est alors réalisée. L'intervention se termine par une oesophagostomie cervicale et une jéjunostomie d'alimentation [4] [19] . Plasties trachéobronchiques L'intervention débute par une laparotomie exploratrice s'assurant de l'absence de contre-indication abdominale à cette chirurgie (péritonite diffuse caustique grave par exemple). Le patient est alors installé en position de thoracotomie postérolatérale droite. L'oesophagectomie est réalisée avec dissection minutieuse du plan trachéobronchique, afin d'éviter la perforation de la membraneuse nécrosée. La plastie pulmonaire utilise le segment dorsal du lobe supérieur droit ou le lobe de Nelson [17] . Le parenchyme pulmonaire est suturé aux anneaux trachéaux et à la membraneuse saine, de telle façon que le parenchyme recouvre parfaitement la lésion sans fuite aérienne. Le poumon vient combler le médiastin et obstruer la perforation ou la zone trachéale suspecte. En cas de membraneuse perforée, l'intervention peut être réalisée sous jet-ventilation. La thoracotomie est fermée sur plusieurs drains thoraciques et médiastinaux. La suite de l'intervention abdominale et cervicale ne présente pas de particularité par rapport au stripping [4] [17] .
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tedles-
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Excellent partage,merci .
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Re: Brûlures caustiques de l'oesophage
merci pour les informations
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